8 – Donner (et prendre)


Le don

Mais pourquoi donc, vous demanderez-vous peut-être, devrais-je donner quoi que ce soit quand mon objectif est de prendre ?

Il est peu de contextes dans lesquels donner ne soit pas une bonne manière de marquer des points. Le don n’est pas forcément chose matérielle, il peut être don de son temps, de son attention… Il peut être un service rendu, une invitation, un prêt d’argent ou même une confidence comme on le verra plus bas.

Le don est souvent utilisé comme expression ou preuve de déférence, de respect, d’affection ou de gratitude. Flatter l’égo d’une personne en lui faisant des présents est chose aisée, après tout, n’est-ce pas aux dieux que nous avons longtemps réservé nos plus belles offrandes ? 

Dans cette optique, il semblerait naturel de considérer le don comme la manifestation d’une supériorité du receveur sur le donneur, mais dans la réalité la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit, et si votre cible est un minimum scrupuleuse ou un peu méfiante, votre don fera l’objet d’une tentative d’égalisation de sa part : placée (consciemment ou non) en position de débiteur, elle devra retourner votre geste pour équilibrer la relation et s’acquitter de cette dette symbolique. 

Trop donner et mettre dans l’impossibilité matérielle d’une réciprocité peut dans certains cas provoquer chez l’autre un sentiment d’humiliation, et il ne serait pas à exclure dans une telle configuration que vous ne récoltiez qu’amertume et ressentiment. Mais dans d’autres cas, notamment si votre cible est un proche, ami ou famille, en lui donnant plus qu’elle ne peut rendre vous en ferez un débiteur reconnaissant et éternel à traire jusqu’à plus soif. 

Si vous avez besoin d’indices quand à l’état d’esprit de votre cible, il suffit généralement de l’écouter : quand l’on vous dit « c’est trop » ou « je ne peux pas accepter » c’est que c’est vraiment trop et que vous avez sous-estimé la capacité de résistance ou la lucidité de la personne, non qu’elle n’estime pas mériter le don, ou qu’il ne lui plaise pas, mais plutôt qu’elle a conscience que l’accepter reviendrait à contracter implicitement une dette dont elle ne veut pas.

Soyez stratège et ce que vous donnez aux autres, vous pourrez leur reprendre au centuple.

Des cadeaux

Que l’occasion soit officielle (anniversaire, etc.) ou non, il faut choisir le cadeau en fonction de son destinataire et de l’effet escompté.

Si le cadeau est minable, vous prenez le risque de passer pour un grossier personnage, mais vous donnez aussi l’occasion à votre cible de prétendre à une supériorité implicite en faisant mieux que vous. 

Mettons que vous offriez une livre de poireaux à une personne dont vous convoitez l’amitié, le soutien ou l’estime. Elle vous jugera certainement vulgaire, pingre ou juste pauvre, mais sera rassurée et en confiance puisqu’elle n’aura qu’à vous offrir deux livres de poireaux pour faire mieux et prendre le dessus. Facile. 

À l’opposé, imaginons que vous receviez comme des princes une ou plusieurs personnes : tapis rouge, champagne, petits fours et mets délicats ; elles seront certes flattées par l’importance que vous leur accordez et la valeur de vos offrandes, mais si elles sont dans l’impossibilité de vous rendre la pareille, que ce soit pour des raisons matérielles ou parce que votre position dans leur hiérarchie relationnelle n’ouvre pas à ce type de traitement, elles préféreront probablement vous laisser sur le bas-côté que se plier à l’obligation sociale et/ou morale de réciprocité. 

Chaque type de cadeau a ses avantages et ses inconvénients, tout ce qui brille et sent bon s’échange facilement dans un cadre amoureux, mais offrir des bijoux ou de la lingerie fine à un supérieur hiérarchique est une mauvaise idée. Respectez le contexte. En cas de doute, rabattez-vous sur un bibelot attrape-poussière, une œuvre d’art consensuelle ou un tord-boyau exotique ramené d’un lointain séjour. L’avantage du bibelot ou de l’œuvre d’art est que chaque fois que votre cible posera les yeux dessus elle pensera à vous, et vous pourrez de votre côté jauger l’estime qu’elle vous porte en fonction de la place qu’elle accordera à votre présent. Si le bibelot finit dans un tiroir et l’œuvre d’art derrière un meuble, vous n’avez probablement qu’une importance relative.

Les livres peuvent faire des cadeaux un peu passe-partout, optez pour le dernier prix littéraire à la mode si vous offrez un roman, ou un ouvrage en rapport avec les centres d’intérêt de votre cible si c’est un essai, un beau livre etc. Il existe des livres sur absolument tous les sujets, choisissez en fonction de la couverture et du titre, peu importe le contenu quand lire un livre en entier s’apparente pour beaucoup à une ascension de l’Everest.

Un des atouts du livre est qu’il peut faire passer un message. Avec un livre érudit, vous flatterez votre cible, mais vous pouvez aussi opter pour le mécanisme inverse et offrir Trente jours pour maigrir à un voisin obèse ou L’art d’être sénior à une collègue qui fête ses cinquante ans.

Attention quand même avec les cadeaux empoisonnés. Offrir une doudoune en plumes à un ami végane le plongera en pleine dissonance cognitive. D’un côté la politesse et une gratitude convenue socialement le forceront à vous remercier, peut-être même sincèrement ; de l’autre il risque de fondre en larmes voire de s’évanouir à la pensée des invraisemblables traumatismes subis par ses sœurs oies pour la fabrication du manteau. Votre cadeau et vous-même seront donc […]