Rumeurs et calomnie
La calomnie est un moyen très efficace de se débarrasser d’une personne problématique, et avec la rumeur pour cheval de Troie elle s’avère redoutable dans tous les milieux : professionnel, associatif, amical, familial ou autre.
Comme n’importe quelle technique de désinformation, la rumeur calomnieuse doit reposer sur une part de vérité ou sur un élément qui pourrait coller au réel pour être performante.
Prenons Alphonse ce collègue trop travailleur qui vous fait de l’ombre.
Imaginons qu’Alphonse soit féru de blagues graveleuses, qu’il parle fort, qu’il soit charmeur, viril et plus très jeune.
Pas la peine d’aller chercher loin pour dézinguer cet affreux mâle non-déconstruit : faites-le passer pour un satyre ! Il se masturbe dans les toilettes, il consulte des sites pornographiques en loucedé, il a donné du « mademoiselle » à une serveuse, on l’a vu en ville avec une femme très vulgaire qui n’était pas la sienne…
Distillez ces informations à voix basse autour d’un point d’eau puis laissez infuser : une rumeur un peu malsaine aura tôt fait de circuler, et une fois qu’elle sera intégrée (il n’y a pas de fumée sans feu), vous pourrez porter le deuxième coup, là encore en utilisant un élément de réalité : cette charmante stagiaire qui a abandonné son poste l’année passée et dont on a plus jamais entendu parler ? Alphonse aurait tenté de lui mettre la main au panier derrière la machine à café ! Ou était-ce à la photocopieuse ?
Pas la peine d’en dire trop, faites confiance à l’imagination de vos interlocuteurs.
Vous pouvez bien entendu décliner cette proposition à l’envi : faire passer un voisin blanc et chauve pour un néonazi ; un livreur de pizza barbu pour un terroriste ; un instituteur trop gentil pour un pédophile… Et si c’est une femme que vous visez, la faire passer pour une Marie-couche-toi-là est généralement très efficace, surtout si elle est un tant soit peu séduisante. Dans l’imaginaire collectif, toutes les femmes sont potentiellement des trainées et tous les hommes des criminels, des violeurs et/ou des pervers.
Vous pouvez calomnier publiquement, à visage découvert, mais s’exposer est rarement une bonne idée et vous optimiserez votre marge de manœuvre en recourant à la rumeur sans être identifié comme étant son origine. Brouillez les pistes. Pour reprendre l’exemple d’Alphonse, commencez par dire à Clara que c’est de Jordan (qu’elle ne fréquente pas) que vous tenez vos informations. À Gaspard vous direz que c’est de Charlotte, à Paul que c’est de Miguel etc. Vous pourrez également modifier le récit d’un iota à chaque fois et vous constaterez que la rumeur prendra vie et suivra son chemin pour vous revenir transformée et forcément aggravée. En dernier lieu, Alphonse sera devenu un monstre de lubricité coupable d’avoir violé la moitié des stagiaires dans l’armoire électrique matin, midi et soir pendant des mois.
Ce ne sont plus des regards de travers ou des sous-entendus déplacés qu’aura à subir Alphonse, mais de la haine et du harcèlement. Rapidement, il démissionnera, tombera en dépression ou sera viré.
Sexualité, morale, politique ou argent sont parmi les terrains les plus propices à la médisance, mais peu de rumeurs seront plus dures à faire taire que celles insinuant la maladie mentale, d’autant qu’une personne que l’on dépeint comme déséquilibrée aura toutes les chances à terme de le devenir : démontrer que l’on est sain d’esprit relève de l’impossible, qui d’autre qu’un détraqué chercherait à prouver qu’il ne l’est pas ?
Et qui n’est pas… de toute façon… plus ou moins… fou ?
Enfin, si vous n’êtes pas pressé ou avancez en terrain miné, vous pourrez en tout contexte privilégier l’approche sournoise. Feindre la bienveillance et dauber en toute bonté pour répandre la rumeur : « Je suis inquiète pour Sarah et son problème d’alcool. » ; « Matéo vit tellement mal sa bipolarité » ; « J’ai peur pour Francis et sa syphilis. »
C’est un travail de fond, mais vous serez doublement récompensé.
La délation
Proche cousine de la calomnie, la délation est un moyen fort pratique de se débarrasser d’un ennemi ou d’un concurrent. Tout le monde ou presque a quelque chose à cacher ou à se reprocher. Des petits secrets dégueulasses planqués dans des tiroirs, des agissements répréhensibles, des comportements condamnables etc.
Si vous êtes chanceux et que votre gêneur verse dans l’illégalité, vous n’aurez qu’à passer un coup de fil anonyme à la police ou à un service administratif quelconque pour vous débarrasser de lui, cela pourrait être un collègue ou supérieur que vous savez cocaïnomane ; un voisin qui bat quotidiennement sa femme ; un entrepreneur qui cache une partie de ses revenus aux îles Caïman etc.
Dénoncer un crime ou un délit demande très peu d’effort pour un résultat quasi garanti. Vous n’avez pas ça sous la main ? Rabattez-vous sur une immoralité. La morale est partout, chaque groupe, chaque personne a la sienne ; même ceux qui prétendent la combattre ou s’indignent de son supposé « retour » s’offusquent en réalité du retour d’une morale qui n’est pas la leur, et donc d’un affaiblissement possible des dogmes dont ils tirent influence ou pouvoir.
Si le Droit est théoriquement universel, la morale est élastique et varie selon les milieux et les contextes, il vous faudra bien connaître celle en cours dans votre écosystème et identifier ceux chargés de la faire respecter, car aussi petit que soit le cercle, il y a toujours des dépositaires de l’autorité (déclarés ou non) qui ont légitimité à statuer sur la moralité et la soumission des leurs à la doctrine, c’est à eux qu’il faudra rapporter les comportements déviants.
À petite échelle cela pourrait être moucharder le gamin que vous avez vu piquer un sou dans la bourse de ses parents ; à moyenne échelle dénoncer l’auto-déclaré philanthrope qui exploite ses subordonnés ; à grande échelle balancer le politique qui trahit ses obligations tacites : l’écolo qui planque une grosse cylindrée dans son garage, l’opposant qui mange secrètement à la table du pouvoir etc.
Notez enfin que même si on peut leur reconnaître une certaine utilité, il n’y a guère de milieux où l’on apprécie les balances, privilégiez donc la dénonciation anonyme si vous voulez éviter ressentiment, représailles et méfiance, ou alors balancez une balance, cette option est l’une des seules dont le délateur qui s’expose peut tirer crédit et reconnaissance.
Toxique !
« Toxique » est une manière désormais commune de qualifier une personne dont les actes et la présence vous rendraient la vie douloureuse ou impossible. Dans un monde où la fragilité devient une norme, n’importe quel mot, geste ou intention qui provoque l’inconfort ou déplaît est potentiellement toxique et peut être