Il a médité dans un ashram en Inde, dansé au carnaval de Rio, côtoyé les chamans du Pérou et touché le haut du Kilimandjaro. Le voyageur ne visite pas une contrée ou une région, il ne s’y rend pas non plus, il la « fait ».
Ainsi, l’entendra-t-on se remémorer cette fois il a « fait l’Afrique », ou cette autre fois où il a « fait Bali », mais jamais la fois où il a fait les toilettes, car là il se contente d’aller, comme un simple mortel.
Cet étrange vocabulaire est une astuce sémantique qui permet d’indiquer à l’auditeur que le voyageur est un aventurier rompu à l’exotisme et non un vulgaire touriste. Lui évite d’ailleurs les hôtels ou les locations pour vacanciers, il va « chez l’habitant », une notion vague qui désigne généralement une chambre miteuse dans un village sans intérêt louée à un coût outrancier par un natif futé qui a flairé le filon de « l’authenticité ».
Le voyageur ne le voit pas de cet œil et s’enorgueillit de passer du temps au plus près de ces gens « si pauvres mais si accueillants », de leurs enfants « qui n’ont rien mais qui sont si heureux »… mais qu’il fuira au premier pépin de santé pour se réfugier dans l’hôpital le plus proche, si besoin avec l’assistance de l’ambassade locale dont une mission récurrente est de materner des globe-trotteurs moins tolérants à l’authentique qu’ils ne pensaient l’être.
L’idéal pour approcher le voyageur est d’avoir soi-même voyagé et de lui faire savoir, mais en lui laissant toujours l’avantage sur la quantité de pays visités, car c’est ainsi que les voyageurs se jaugent entre eux : plus grand le nombre de pays, plus haut dans la hiérarchie, avec au sommet ceux qui ont fait un « tour du monde ». Le tour du monde est juste une manière de revenir à son point de départ en se déplaçant vers l’est ou vers l’ouest, mais dans l’imaginaire du voyageur c’est le pinacle de l’aventure moderne, la promesse de mille péripéties et au retour d’une aura digne des plus grands explorateurs.
Quel que soit votre palmarès, demandez-lui des conseils, demandez-lui ses meilleures adresses, ses destinations « hors des sentiers battus », extasiez-vous devant ses photos, ses souvenirs, et interrogez-le sur ses prochaines pérégrinations, il sera enchanté par votre compagnie et vous n’aurez qu’à creuser le sillon.